mardi 23 avril 2024

Lectures : La Rue, de Francis Carco

 Même si j'ai lu à plusieurs reprises son ouvrage Jésus-la-Caille, je ne connais pas trop Francis Carco : je sais que nous avons usé nos fonds de culotte dans le même collège, mais sans doute avait-on changé les chaises entre-temps. Plus sérieusement, c'est avec plaisir que j'ai entamé la lecture de La Rue, publié en 1930.

Mes impressions, une fois le livre refermé ? Un peu mitigées, je l'avoue... Une romance un peu simpliste, pourquoi pas si la simplicité engendre cette "épure" qui participe souvent des grandes oeuvres. Mais j'y vois comme une inspiration essoufflée et un peu poussive. En 1930, Carco est un auteur reconnu, riche et expérimenté, il maitrise suffisamment son art pour donner de l'allant à sa plume. Or, dans La Rue, il donne le sentiment d'écrire parfois au forceps.

Reste malgré tout l'univers de l'auteur, ces bas-fonds de Montmartre du début de siècle (le XXème, faut-il le préciser) où grouillent prostituées, macs et petites frappes de toute nature, foule miteuse et sauvage animée de noblesse comme de bassesse mais irrémédiablement ancrée dans la misère humaine. Et c'est ce qui réhabilite ce livre : pourrait-on encore l'écrire de nos jours? De toute évidence la réponse est non ; les moeurs de ce monde interlope et de cette époque montmartroise étaient loin d'être politiquement correctes, et les relater aujourd'hui ne résisterait pas longtemps aux interdits des groupes féministes et autres minorités.

Alors, même si son oeuvre a pu être inégale, gardons et apprécions Francis Carco, car son oeuvre restitue le regard qu'il a posé sur ce moment de l'aventure humaine.

mardi 16 avril 2024

Dati, littérature et fils de pub...

 Voilà quelques jours, une métorite s'est abattue sur le landerneau de l'édition, et donc des auteurs ; Rachida Dati, dans un réflexe sarkosyste aussi imprévu que brutal a annoncé la possible autorisation de la publicité pour le livre à la télévision. Pourquoi cette décision (à confirmer...) que personne n'avait demandé ? Nul ne sait, même pas Macron qui fait la gueule ; renflouer les caisses de l'audiovisuel public, qui lorgnerait dessus ? 

En attendant, les éditeurs sont unaninement (pour l'heure) vent debout, et posent les enjeux du débat. Claude Gallimard et Denis Olivennes (Editis) y voient, fort logiquement, une accélération de la concentration sur les plus gros vendeurs et une atteinte à la diversité. Faire de la pub à la télévision suppose de solides budgets, qu'on ne pourra investir que sur quelques titres, au détriment de la promotion des autres.

Investir sur les best-sellers identifiés (Musso, Lévy, Grimaldi...) dopera-t-il encore plus des ventes déjà conséquentes ? A voir. Quant à faire de cette publicité vers le grand public une incitation à la lecture, c'est oublier qu'il s'agit de la mise en avant d'un produit à la mode du moment (généralement pas les plus qualitatifs, comme on dit de nos jours), et non de la littérature et de la lecture : l'achat se cantonnera à ce produit de tête de gondole sans inciter à des achats supplémentaires en librairie.

Ainsi verra-t-on s'agrandir le fossé entre stars et besogneux, au sein des grandes maisons d'édition,  et entre gros éditeurs et éditeurs indépendants. Modernisation, libéralisme, marché... la culture n'y échappe évidemment pas,  et notamment le marché du livre. Reste que, systématiquement et dans tous les domaines, c'est la médiocrité qui s'avère la plus rentable, et donc la plus promue. Le projet de Rachida Dati s'inscrit furieusement dans la culture sarkosyste, ses Roujon, ses Macquart et ses Roland Barthès.

jeudi 4 avril 2024

Quand la culture va...

 Peut-être ne faites-vous pas vos courses quotidiennes à la FNAC des Champs-Elysées. Peut-être même, comme moi, n'y avez-vous jamais mis les pieds. Peut-être encore vous moquez-vous de la FNAC, des ses profits et de ses déboires. Toujours est-il que, si après 25 ans d'existence, ce magasin vous est inconnu il est probable qu'il le restera longtemps puisqu'il va disparaitre, pour cause de chiffre d'affaires en baisse et surtout de loyer en hausse.

C'est donc une nouvelle enseigne culturelle parisienne qui ferme boutique. Une de plus, me direz-vous ; après tout, neuf cinémas y ont disparu en trente ans. Le constat, c'est que le cossu quartier des Champs-Elysées est désormais voué au commerce de luxe, à destination d'une clientèle internationale. On peut considérer que cela n'a rien d'illogique. Pourtant, dans les autres quartiers ainsi qu'en province, c'est aux marques de fringues et de chaussures, marques même pas de luxe, que les activités culturelles ont cédé le pas. Et c'est le cas pour bien d'autres activités ; j'ai narré ici même voilà quelques années comment une pharmacie, loyer oblige, avait baissé le rideau, remplacée par une enseigne de parfumerie grand public...

Sic transit gloria mundi, encore une fois ; après tout, en Haïtï, c'est la Bibliothèque nationale qui vient d'être pillée par les gangs. Chaque époque a les priorités qu'elle mérite.

lundi 18 mars 2024

Lectures : Bande de génies, de R. McAlmon

 Robert Mc Almon (1885-1956) fut un auteur que beaucoup disent surdoué, mais qui finit oublié et miséreux en Californie. Il fut aussi éditeur, et notamment le premier d'Hemingway. Il fut surtout, en France et pendant les années folles de la décennie 1920, le prince de la "lost generation" qui anima le quartier Montparnasse, chantre de la fête, des bars, de l'alcool et d'un monde interlope. Il a écrit (en 1938) ses "mémoires" de cette épopée parisienne, mémoires que l'éditeur Séguier vient de publier en français sous le titre "Bande de génies".

On sait que le Montparnasse des années 20 fut un moment exceptionnel, tant il a compté de génies au m2, français, américains, japonais, italiens, irlandais, russes..., peintres, écrivains, poètes ou musiciens. Mc Almon évoque dans son livre surtout les écrivains. On y retrouve des grands noms (Hemingway, Pound,Joyce, Dos Passos...) et quelques français (Desnos, Cocteau...). Y sont également évoqués de nombreux auteurs anglais ou américains qui nous sont aujourd'hui inconnus ; c'est ce qui rend certains passages un peu touffus, voire confus et longuets, d'autant que la trame du récit semble parfois un peu décousue...

Cela étant, Mc Almon était un excellent critique et ses analyses sont d'une haute volée. C'est aussi un fabuleux portraitiste, à la fois affectueux, féroce et sincère, qui donne des images "d'époque" et souvent différentes de celles que l'Histoire a fabriqué.

Le tout offre une plongée dans un univers magique, brillant, sympathique ou non, qui exorcisait le souvenir de la grande boucherie de 14-18. Moment intense de création et de révolution qui a bouleversé tout le XXème siècle et au delà.

mardi 12 mars 2024

Littérature et danger (relatif) de la création...

 Voilà déjà bien longtemps qu'on planche sur la création, ses ressorts, ses élans, ses blocages, ses pourquoi et ses comment. Et donc sur les turpitudes du "créateur". Ainsi ne peut-on plus lire ou entendre un article, une interview, un programme émanant d'un créateur en charge de promouvoir une nouveauté sans que celui-ci (ou celle-là, encore plus) ne proclame "s'être mis en danger" pour accoucher de sa dernière oeuvre (rarement impérissable) ou plutôt de son dernier produit.

Parler de son nombril est chose nécessaire dans le marketing contemporain. Avec si possible de l'intime et de l'impudeur : la peur d'échouer, de changer de créneau, bien sûr, mais surtout les agressions subies, les viols de toute nature, les névroses récurrentes sont autant de paroles verbales destinées à vendre les niaiseries à la mode, où il convient aussi de "sortir de sa zone de confort"... Angot et Despentes maitrisent bien la chose. Je ne sais plus de qui, voilà quelques jours, je lisais ce type d'aventures mais cela a fini par m'agacer sérieusement.

Comprenons-nous bien : je sais ce qu'il en est des mécanismes et des névroses de la création, ne serait-ce que pour y avoir, professionnellement ,travaillé dessus pendant plus de trente ans, depuis l'expression jusqu'à l'hystérie de conversion. Et je ne ris pas du danger (psychique ou social) qui peut peser sur l'artiste. Et c'est peut-être pour cela qu'en faire un élément de marketing me répugne particulièrement.

Et je dois ajouter que, dans le même temps, je relisais Le Feu de Barbusse, livre de référence sur la première guerre mondiale, et récit de l'horreur que l'Histoire peut infliger à des hommes. Avec, dans ce livre, beaucoup de sang et pas mal de boue, de misère et de merde, et pourtant toute la pudeur du monde dans l'écriture de Barbusse.

Pudeur, un sentiment dont il serait bon que notre univers si promotionnel retrouve le sens...

mardi 5 mars 2024

Variations orthographiques à Carcassonne

 Errare humanum est, parfois, perseverare diabolicum, toujours. On sait qu'en notre époque moderne, les progrès de la langue française et de l'orthographe étants ce qu'ils sont, passer de l'oral à l'écrit est pour beaucoup un parcours complexe et aléatoire. Mais il  semble que sur les vieilles terres cathares de la préfecture de l'Aude ce soit une véritable malédiction qui sévisse, si l'on en croit le Canard enchainé de la semaine dernière.

Ainsi, en 2012, la Cité rendait-elle hommage au compositeur Jacques Offenbach. Qui s'est retrouvé rebaptisé "Offenback" sur la plaque émaillée à lui consacrée. L'anglicisme est partout. En 2023, on inaugure une autre plaque "Rue des Pyrénnées" : abondance de bien ne saurait nuire. Et en cet an de grâce 2024, c'est la plaque du physicien "Pierre Curry" qui vient épicer l'actualité audoise.

Cette persévérance interpelle. On trouve des incultes partout. Pourtant, sans ironiser sur les compétences ou la motivation des employés municipaux, il devrait bien se trouver, entre les diverses collectivités territoriales et le fabricant, assez de strates administratives pour corriger les bévues. Mais non, semble-t-il...

Bref, toute langue évolue, nous diront les linguistes atterrés.

mardi 27 février 2024

Et c'est ainsi que Musso est grand...

 Longtemps les écoles ont été nombreuses à porter le nom de grands écrivains (ou de grands artistes), témoignant ainsi d'une grandeur collective qui s'enracinait dans des oeuvres de haute volée, que le peuple s'appropriait et que les chères têtes blondes perpétuaient... Dans les villes, dans les bourgs, dans les villages même, on célébrait ainsi un passé flamboyant et intelligent. Certes il y eut au mitan du XXème siècle la vague des noms de résistants, puis celle des comédiens, des chanteurs, ou des éphémères gloires locales, qui illustrait davantage les avatars de la société du spectacle que d'une culture triomphante, mais les écoles et la littérature tenaient haut le flambeau.

Bref, mutatis mutandis, nous en sommes au point où une école d'Antibes (06) porte désormais le nom de Guillaume Musso. Oui je sais, dit comme ça, ça fait rire... Et pourtant c'est une information très sérieuse du site Actualitté, site de l'actualité du monde du livre. Et cet organe, généralement peu avare de leçons d'insoumission, corrobore le choix de la municipalité azuréenne de donner le nom de cet enfant du pays, en énumérant les chiffres des ventes de cet habitué des têtes de gondole.

Dormez tranquilles, Hugo, Zola, Molière, Camus, Maupassant... mais n'oubliez pas la promo, sous peine de débaptisation fatale. Quant à nous, craignons pour bientôt une Université Virginie-Grimaldi ou une Bibliothèque Mélissa da-Costa.

mercredi 21 février 2024

Manouchian, juste Manouchian...

 Bien sûr, il y a Mélinée, son orpheline, qui l'accompagne ce jour au Panthéon. Mais c'est Missak Manouchian qu'on commémore, ce qu'il fût et ce qu'il fit. Un hommage de plus, dira-t-on, de la part d'un pouvoir qui n'en est pas avare, tardif peut-être mais nécessaire car il nous ramène à une époque où l'engagement ne se faisait pas "par le biais du micro", comme persiflait Brassens...

Certes, il y aurait beaucoup à dire ; sur le curieux arc républicain qui honore le résistant communiste ; sur la fabrication du personnage par le PC ; sur les zones d'ombre qui entourent ce PC lors de l'effondrement du réseau de la MOI ; sur l'éternel débat quant à la responsabilité et au coût des représailles ; et tant d'autres choses ; Et d'ailleurs Manouchian lui-même aurait-il souhaité cet hommage individuel ?

Mais reste avant tout la leçon qu'a donné le petit orphelin arménien que rien ne prédisposait à voler au secours d'une France longtemps frappée de léthargie vis-à-vis du nazisme. Il adhèra à une idéologie, comme d'autres adhèreront à des idées différentes. Il fit preuve de courage, d'autres en firent de même. Pourtant sa sincérité explose dans son attachement à la culture et la langue française, sa littérature et sa poésie.

Alors, derrière les grandes ou petites tentatives de récupération, il y a juste Manouchian. C'est déjà beaucoup. Manouchian le juste. Ah si, quand même, n'oublions pas le poème d'Aragon et la chanson de Ferré...

mercredi 14 février 2024

Les bouquinistes restent à quai !

 Le sujet avait été traité l'été dernier sur ce blog, quant on avait annoncé la déportation des bouquinistes parisiens pendant la durée des JO de l'été prochain. La Préfecture de police de Paris et la Mairie avaient décidé de déménager les caisses vertes qui ornent les quais de Seine, la Préfecture de police par souci de sécurité, la Mairie par souci d'on ne sait quoi. De sorte que cette annonce de déplacement temporaire avait suscité une levée de boucliers, depuis les amoureux de ces étals jusqua'aux professionnels inquiets pour leurs revenus et plus encore pour la pérennité de leurs vieilles installations.

S'en est suivi une chicanerie de six mois, de négociations avortées en récupérations politiques de toute nature. Et alors que se dessinait la fatale défaite du pot de terre face au pot de fer, un coup de théâtre a fracassé le silence de ce jour de grâce du 13 février 2024 : Emmanuel Macron lui-même a annulé le déplacement. 

Cette décision du Président apparait bien sûr comme le fait du Prince. Une fois de plus, dira-t-on, car tout semble désormais se trancher à l'Elysée. En attendant, on se réjouira de voir les quais conserver leurs plus belles fleurs, tout en regrettant que les mesures de bon sens ne soient pas prises plus plus tôt et sans recourir au droit divin...

vendredi 9 février 2024

La Maison des Ecrivains et de la Littérature, hélas...

 On sait que ce pays regorge d'organisations visant à promouvoir la littérature. Avec le succès que l'on sait, diront les mauvaises langues, mais c'est un autre débat. Ainsi la Mél (Maison des Ecrivains et de la Littérature) qui depuis sa création en 1986 durant les années fastes jacklangiennes soutient parait-il "logistiquement et économiquement" des manifestations littéraires parisiennes. Elle est devenue une institution, et siège dans le XVIème arrondissement.

Mais voilà près de dix ans que la crise semble permanente, financière et managériale ; en quelques années la dotation publique est passée de plus de 700 000 euros à 500 000 euros aujourd'hui. Trop peu, crie bien sûr la Mél, qui parle même vis-à-vis du Ministère de la Culture de "forfaiture" : le ridicule ne tue plus depuis longtemps. Si la Mél évite régulièrement la banqueroute elle n'a guère infléchi sa gestion, particulièrement opaque, peut-être pas malhonnête mais pour le moins "déconnectée", en tout cas difficile d'accès même pour des vice-présidents... Mais bien sûr, argue la structure, "la Mél est menacée parce que la littérature est menacée". CQFD. Le Conseil d'Administration, quant à lui, enregistre démission après démission, avant d'avoir peut-être des comptes à rendre surladite gestion.

Le nombre des adhérents à cette Asso, car c'est une simple association, culmine à 240, tout aussi célèbres que les pétitionnaires contre Tesson. Il n'en demeure pas moins une dizaine de salariés, à l'efficacité incertaine. Normal, "la souffrance des équipes" illustre "un système totalitaire" et les "abus de pouvoir" imputés à la direction.

On l'aura compris, la pétaudière est joyeuse. Et coûteuse en deniers publics. Et probablement pas la seule à dilapider ceux-ci au profit de quelques uns, à en croire les gens bien informés. Mais d'autant plus irritante que pendant ce temps-là, loin des lumières, de nombreux bénévoles font beaucoup mieux avec beaucoup moins.